Découvrir Don Ihde et la postphénoménologie

Ce blog a pour ambition de faire partager un enthousiasme, pour l'une des pensées les plus originales et les plus fécondes d'outre-atlantique, la pensée de Don Ihde. Les thèmes explorés sont la technoscience, le visualisme de la science moderne, l'herméneutique matérielle et les questions contemporaines relatives à la culture technologique.

samedi 25 décembre 2010

Cadeau de Noël

Aujourd'hui, c'est Noël, le jour des cadeaux comme chacun sait.
Mon cadeau à tous sera un bel article d'Arun-Kumar Tripathi de l'University of Technology de Dresden, intitulé "Technological Transformation of Human Experience".

Inutile de dire qu'il est basé sur la philosophie de Don Ihde, entre autres... Voici l'introduction de l'article, en traduction personnelle.

"Les développements technologiques dans des domaines tels que l'informatique, la biotechnologie, la génomique et les technologies de la reproduction assistée risquent de nous mener dans une ère nouvelle et distincte de l'évolution humaine. Par conséquent, des termes tels que «posthumain» et «transhumain», deviennent monnaie courante ces dernières années. L'objectif de cette conférence est de susciter de nouvelles discussions interdisciplinaires sur les questions relatives à la reconceptualisation possible de l'"humain" à la lumière des nouvelles technologies." {BETWEEN THE HUMAN AND THE POST-HUMAN-TECHNOLOGY AND HUMANITY (Science Technologie Culture Research Group : Colloque organisé par l'Université de Nottingham, le 19 Septembre 2007)}
Ce programme de conférence sur
BETWEEN THE HUMAN AND THE POST-HUMAN-TECHNOLOGY AND HUMANITY avance qu'il est largement admis que l'esprit peut être étudié indépendamment des caractéristiques physiques de son incorporation et de son milieu. Il s'agit d'une forme résiduelle de cartésianisme que les sciences cognitives peuvent difficilement se permettre. Un nouveau modèle est nécessaire grâce auquel les processus internes de calcul sont compris comme co-opérant avec les structures extérieures (physiques et sociales) afin de produire les phénomènes de la cognition naturelle.
M'appuyant sur une conception de la technologie comme ce qui instaure notre rapport au monde-de-la-vie, ainsi que sur les vues de Don Ihde, Peter-Paul Verbeek et Robert Rosenberger, je présente
dans cet article les productions des chercheurs ayant participé à la conférence.
Puisque nous sommes de plus en plus nombreux à recourir aux nouvelles technologies pour nous changer nous-mêmes, sans nécessairement avoir de but thérapeutique, conformément à nos seuls désirs, le défi de l'amélioration humaine est l'un des sujets de réflexion les plus urgents s'imposant à notre époque. Les articles du recueil publié par Gordijn et Chadwick contribuent à une telle compréhension par l'examen critique des avantages et des inconvénients de notre capacité grandissante à façonner la nature humaine grâce aux progrès technologiques. L'incorporation humaine est présupposée dans et par nos technologies, en particulier celles qui sont liées à la production de nos connaissances - ce qui comprend l'instrumentation scientifique, les technologies de la communication et les nouvelles formes de la réalité virtuelle, simulation ou appareils de modélisation - ces technologies qui sont discutés plus en détails dans Bodies in Technology de
Don Ihde
.
 

Référence :
Gordijn, Bert ; Chadwick, Ruth (Eds.) Medical Enhancement and Posthumanity Springer, Forthcoming in 2009. [Crucial Chapters are Andy Miah : A Critical History of Posthumanism, Dieter Birnbacher : Posthumanity, Transhumanism and Human Nature, Nick Bostrom : Why I want to be a Posthuman When I Grow Up, and Charles T. Rubin : What is the Good of Transhumanism ?]

Sans vouloir abuser des droits de citation, je traduits également la première analyse de Tripathi concernant le propos de Don Ihde.


Don Ihde dans son discours "Of which human are we post ?" soutient que Francis Bacon, au début de la modernité, dans son Novum Oraganum, s'inquiète de l'apparition d'une ère nouvelle et exprime ses préoccupations en évoquant quatre idoles. Ihde décide d'exprimer ses propres préoccupations philosophiques concernant l'ère postmoderne contemporaine avec quatre nouvelles idoles, chacune renvoyant au rêve du «post-humain». Ces quatre nouvelles idoles sont : l'idole du Paradis ; l'idole de l'Intelligent Design ; l'idole du Cyborg et l'idole de la prévision. Ihde examine l'imaginaire technologique et existentiel lié à chacune de ces nouvelles idoles (Ihde 2007, 2008).
Don Ihde, dans son article fascinant
"Technofantasies and embodiment", affirme que des films comme ceux de la trilogie Matrix jouent sur l'imaginaire se développant dans un contexte technologique et se rapportent au sens de l'incorporation pour les humains. Ihde fait valoir que dans Matrix les technologies contemporaines sont mises en perspective afin d'expliquer certains de leurs effets et implications pour "l'esprit" et l'incorporation. Ihde souligne le fait important que nous vivons l'expérience de l'incorporation dans notre monde, sans avoir besoin d'être reliés à un monde virtuel. « Nous n'avons pas besoin d'être dans l'imaginaire technologique pour être technologiquement incorporés » (p. 166). Comme Merleau-Ponty le soutient, « Le monde est non pas ce que je pense, mais ce que je vis, je suis ouvert au monde, je communique indubitablement avec lui, mais je ne le possède pas, il est inépuisable. (...)» (pp. XI-XII, Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception). Ihde nous incite à développer de nouveaux talents et, puisant dans notre imagination, à faire preuve de créativité grâce aux nouvelles technologies.
De fait, les technologies sont vouées à l'incorporation, mais jamais totalement, ni de manière totalement transparente. Et c'est de cette manière qu'elles nous donnent des pouvoirs et nous ouvrent des possibilités que nous n'aurions pas autrement. Mais le prix de ce pouvoir est d'avoir à comprendre ce qui se refuse à notre compréhension immédiate, à savoir que si nous utilisons et même nous incorporons partiellement nos technologies, nous demeurons l'être contingent que nous sommes depuis toujours. C'est la capacité de s'en remettre à une multiplicité de technologies - et donc aussi à  pouvoir se passer d'elles - qui est l'indicateur
existentiel de ce prix à payer, y compris pour la meilleure des simulations. C'est aussi le fait qui relance sans cesse notre esprit critique (Ihde 2004a & Ihde 2003).
En ne souscrivant ni à
un point de vue utopique sur la technologie, ni à un point de vue dystopique, Don Ihde écrit dans "Postphenomenology - Again ?" (2008) : « Je dois vous prévenir que, comme philosophe, je suis très sceptique envers les arguments de toute nature qui ne cherchent qu'à nous mener sur des terrains glissants. Dans le même temps, je ne suis pas hostile à la notion de «post» que j'utilise à ma manière en adoptant un style d'analyse postphénoménologique, ce que d'autres revendiquent aussi.»
La postphénoménologie, comme Ihde le soutient, substitue l'incorporation (embodiment) à la subjectivité  :
« ma version de la postphénoménologie comme phénoménologie postsubjectiviste est basée sur la matérialité des technologies. La postphénoménologie est une tentative pour surmonter l'épistémologie moderne avec ses divisions cartésienne "sujet / objet" et "interne / externe". Ce en quoi elle diffère du reste de la tradition phénoménologique, c'est qu'elle s'inspire explicitement de certaines idées du pragmatisme américain ». Le corps ne peut pas être transcendantal ; il est existentiel (Merleau-Ponty). Ihde affirme avec Merleau-Ponty qu'on doit saisir  la subjectivité autrement que comme une forme d'être limitée, celle d'un être à l'intérieur d'une boîte, « La vérité n'« habite » pas seulement « l'homme intérieur », ou plutôt il n'y a pas d'homme intérieur, l'homme est au monde , c'est dans le monde qu'il se connaît. » (p.V) Plus radicalement, « même les fantômes de l'« expérience interne » ne sont possibles que comme des choses empruntées à l'expérience externe. Par conséquent la conscience n'a pas de vie privée...» (p. 27) Pourtant, la « conscience » reste présente dans le vocabulaire de Merleau-Ponty et porte donc en elle l'écho de la « subjectivité ». (...)


Retrouvez l'intégralité de l'article sur la "bibliothèque digitale" de l'ACM, ne serait-ce que pour avoir les références aux oeuvres d'Ihde :
http://portal.acm.org/citation.cfm?id=1403926

Découvrez ses autres articles en ligne sur Ubiquity. Tripathi s'intéresse à ce qui touche aux effets de la technoscience sur la culture en général et la politique en particulier. En s'appuyant, Ihde mis à part, sur des auteurs comme Albert Borgmann, Andrew Feenberg, Peter-Paul Verbeek ou Bernhard Irrgang.
C'est une véritable mine !
http://ubiquity.acm.org/collections.cfm?id=81100605460

Donc, une dernière fois, bon Noël à tous !



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